ZUGZWANG

« Poèmes un peu plus que poèmes – ou un peu moins (Barthes les situait au « bord antérieur du langage »)-, ils voudraient creuser en nous, par le truchement d’un lyrisme ramassé, un sentiment du monde comme miracle. Un sentiment d’ouverture à l’insondabilité des choses que semble avoir peu ou prou oublié l’héritage philosophique occidental, gouverné d’ordinaire par un esprit de distance vis-à-vis de la réalité.
Si le haïku est un exercice spirituel, c’est au sens approfondi le spiritus, c’est-à-dire le souffle du monde en nous. Il ne célèbre rien d’autre que le charivari du vivant, sans jamais s’interdire ni l’impertinence ni l’espièglerie- fût-ce dans la peine et la souffrance
. »

Corinne Atlan et Zéno Bianu, « Le sublime au ras de l’expérience »
Avant-propos au livre : « Haïku : anthologie du poème court japonais »

Si le souffle du monde en nous semble être le mouvement nécessaire à la mise en branle de l’esprit pour accoucher d’un haïku, celaest proche de l’attitude entretenue par Marie Obegi pour la réalisation de sa dernière série de dessins intitulée : Zugzwang. Réalisés au Japon, ces gravures, sur papier traditionnel, sont le fruit d’un long travail d’apprentissage et de décantation des techniques de dessins japonaises. Le Japon n’est pas un pays. C’est un monde, où les codes et les rapports au réel sont bouleversés. Marie est venue aussi pour confronter sa pratique et sa production d’image à celle en place sur ce territoire. Bien sûr ses personnages ont désormais les traits nippons, leurs expressions semblent mettre à distance le regard étonné que nous leurs portons pour nous placer nous, regardeur occidental, dans la peau de l’étranger observé.
Le Japon est un monde. Immense. Il n’est pas anodin pour une jeune artiste d’aller se plonger avec obstination dans la culture d’un pays comme celui-ci et d’en apprendre la langue. Marie Obegi a ainsi accepté de laisser sa pratique se faire modeler et réinterpréter par les exigences et la rigueur artisanale de la philosophie et de l’art japonais. Le beau ne se place pas là où nous le croyons au Japon, et ce qui pourrait apparaitre comme une céramique ratée se révèle être le chef d’œuvre nécessaire pour déguster le thé lors de la fameuse cérémonie. La poésie n’est pas celle des émotions mais celle des sensations et la gravure n’est pas celle de la retranscription du réel mais bien sa capture et son emprunte.
Lorsque l’on pense à l’art japonais, le silence et l’ombre sont deux valeurs prédominantes à activer pour lire les œuvres. J’ose alors à peine imaginer quelle difficulté cela a pu être pour l’artiste lorsque, habituée à raconter des histoires à l’aide de ses personnages et à les présenter dans des white cube, elle est arrivée sur cette île…

Zugswang est cette figure aux échecs qui n’offre aucune autre alternative qu’un coup précis à celui qui a la main. Certain. Incontournable. Je perçois la vie de Marie au Japon et ses productions comme une étape absolument nécessaire dans le développement de sa pratique et l’agrandissement de sa galerie de personnage. Rater ou contourner ce développement l’aurait empêché de s’accomplir et de produire ces œuvres, dont la touche et les traits semblent posséder la même force que ces courts poèmes.

Margaux Bonopera

La spirale de sa coquille

Peu à peu s’accélère –

L’escargot !

Yamaguchi Seishi

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